Par Kelley Teahen, Vice-présidente de Parachute, Directrice Communication et Marketing.

« Vos victoires sont des histoires écrites en données, mettant en scène des héros invisibles qui sauvent des victimes invisibles. »

Cette phrase, tirée du premier chapitre du livre qui vient de paraître Upstream: The quest to solve problems before they happen, (En amont : résoudre les problèmes avant qu’ils n’arrivent) m’a profondément émue. L’auteur américain, Dan Heath, explique pourquoi nous avons du mal à adopter la prévention, qui, dans les milieux de la santé, entre autres, est souvent appelée « intervention en amont » – empêcher un enfant de tomber dans la rivière, plutôt que de le secourir lorsqu’il se noie, emporté par le courant.

Continuons notre lecture :

« Nous avons tendance à favoriser la réaction parce qu’elle est plus tangible : le travail en aval est plus facile à voir. Plus facile à mesurer. Il y a une ambiguïté exaspérante sur les efforts en amont. Un jour, une famille évite un accident de voiture parce que la présence d’un policier l’a rendue plus prudente. Cette famille n’a aucune idée de ce qui ne s’est pas passé et le policier non plus. Comment prouver ce qui n’est pas arrivé ? Votre seul espoir est de conserver des preuves d’accidents si convaincantes que vous pourrez détecter les succès lorsque les chiffres commenceront à baisser. Mais même si vous êtes convaincu que vos efforts ont permis d’atteindre un résultat, vous ne saurez jamais qui vous avez aidé. Vous constaterez simplement la diminution de chiffres sur une feuille ».

Pourquoi ces lignes m’ont-elles autant bouleversée ? Parce que mon travail consiste à expliquer pourquoi la prévention est importante, pourquoi elle fonctionne, pourquoi vous devriez soutenir des efforts comme notre organisation caritative qui préviennent les blessures graves et involontaires et les empêchent ainsi de causer de la douleur, de la souffrance et même la mort. Nous appelons ces décès « évitables » : le bambin qui meurt après avoir ingéré un flacon d’analgésique en vente libre ; le piéton heurté et tué par un conducteur inattentif ; la personne âgée qui glisse, tombe, est hospitalisée et ne récupère jamais.

Lorsque le jeune enfant n’avale rien de dangereux, que le piéton traverse la rue en toute sécurité et que la maison de retraite est aménagée pour prévenir les chutes, la vie se poursuit sans accroc. La prévention des malheurs est invisible. Le parent qui range correctement les médicaments et le concepteur et le fabricant qui créent des récipients et des serrures à l’épreuve des enfants sont invisibles. Il en va de même pour les conducteurs attentifs, les ingénieurs qui conçoivent les routes pour ralentir la circulation, et les fonctionnaires qui modifient les codes de la construction pour rendre les maisons plus sûres.

Je crois fermement que le récit est le meilleur moyen de faire passer un message. Mais quand il s’agit de prévention des blessures, la meilleure histoire, c’est quand il n’y a rien à raconter.

Comment dire cela ?

Certaines des personnes qui font la promotion d’initiatives de prévention des blessures s’appuient sur des histoires que j’appelle « Ne faites pas ce que j’ai fait, faites ce que je dis ». On écoute le témoignage d’une personne quadriplégique blessée en plongée, qui met en garde contre le risque de sauter dans des eaux inconnues, ou d’un conducteur plein de remords, ivre au volant, qui, une nuit, a percuté un autre véhicule et tué une famille de quatre personnes.

Certains parents entreprennent la lourde tâche de raconter comment leur enfant est mort, et comment cette mort aurait pu être évitée si seulement une prévention adéquate avait été mise en place. Je pense au déchirant témoignage d’un résident d’Ottawa, Gord Stringer, venu parler de Rowan, sa fille adorée, décédée en 2013 d’un « syndrome du second impact », un gonflement du cerveau causé par une blessure survenue avant qu’une blessure antérieure ne soit guérie. Rowan a probablement subi trois commotions cérébrales en six jours alors qu’elle jouait au rugby : elle a eu une commotion, mais ne savait pas que son cerveau avait besoin de temps pour guérir, et ses parents, ses professeurs ou ses entraîneurs non plus. Gord, en collaboration avec des experts tels que le co-fondateur de Parachute, le Dr Charles Tator, a incité les organisations sportives et les gouvernements à adopter des politiques et des règles pour garantir que les athlètes chez lesquels on soupçonne une commotion cérébrale soient mis au repos et reçoivent le traitement dont ils ont besoin.

J’aurais préféré que Gord Stringer n’ait pas à raconter cette histoire. 

On peut utiliser ces « chiffres qui baissent sur une feuille », pour revenir à Dan Heath, pour raconter des histoires fortes : les données peuvent révéler, et le font, des histoires transformatrices si elles sont visualisées de manière efficace. Nous pouvons voir les dangers qui s’aggravent et qui augmentent ; nous pouvons voir l’effet qu’ont des actions concrètes sur les blessures et les décès, de l’utilisation obligatoire des sièges auto aux systèmes de sécurité enfant sur les contenants de médicaments.

Upstream n’est pas un livre de marketing, bien que Heath et son frère Chip écrit Made to Stick, (Faits pour accrocher) un best-seller publié en 2007 qui se concentre sur la manière de créer des messages mémorables et qui « accrochent ».

Quels sont les messages qui « accrochent » lorsqu’il s’agit de prévention des blessures ? Le travail de ma vie est de les trouver et de les partager. Merci à Dan Heath d’avoir exprimé aussi clairement les défis que représente la promotion des interventions « en amont ».