Le rôle de l’équité dans le cadre des interventions liées à la sécurité routière et à la mobilité
Dernière mise à jour le 30 janvier 2023
Parachute a reçu en entrevue la Dre Emily McCullogh, boursière de recherches postdoctorales à la faculté des sciences de la santé de l’Université York, qui travaille sous la direction des Dres Alison Macpherson et Sarah Richmond à Santé publique Ontario. La Dre McCullogh a réalisé sa thèse doctorale dans les domaines de la sociologie et de l’éthique philosophique. Elle concernait les soins et la bienveillance au sein de la relation entre les entraîneurs et les athlètes dans le sport de compétition chez les jeunes. Toutefois, elle a élargi la portée de ses recherches pour y inclure les sujets de la sécurité routière, de la prévention des blessures et de l’environnement bâti. Une fois son doctorat achevé, elle a rejoint une équipe de recherche pancanadienne dont les objectifs étaient la réduction du nombre de blessures et de décès en lien avec la circulation routière et la promotion des transports actifs. Ses travaux actuels sont axés sur l’accessibilité, l’équité et l’environnement bâti, ainsi que sur les approches de la mobilité sécuritaire fondées sur les systèmes au Canada.
Comment définir au mieux l’équité dans le domaine de la sécurité routière et des transports actifs?
L’équité dans le domaine de la sécurité routière consiste à appuyer les personnes marginalisées ou qui ne bénéficient pas du statu quo. Cela concerne par exemple les usagers vulnérables de la route (UVR). Il convient de souligner que ces usagers de la route ne sont pas vulnérables par nature : leur vulnérabilité est due aux systèmes routiers que nous avons bâtis. Dans ce contexte, l’équité consiste à appuyer ces personnes grâce à des modifications de l’infrastructure. Nous souhaitons nous assurer que les UVR peuvent circuler sur les routes sans encourir des coûts disproportionnés liés aux blessures, qui sont relativement élevés pour ces groupes d’usagers de la route au vu des données.
Les usagers vulnérables de la route comprennent des usagers de la route exposés à des risques disproportionnés de blessures et de décès en lien avec la circulation routière du fait de leur emplacement social (p. ex., les personnes dont le statut socio-économique est faible, les néo-Canadiens, les personnes handicapées et les personnes vulnérables du fait de leur genre). Le sigle UVR est souvent employé dans les domaines de la recherche et de la pratique de la sécurité routière, globalement axés sur la sécurité des piétons, des cyclistes et des motocyclistes. Toutefois, on devrait élargir le concept de la « vulnérabilité » des UVR pour inclure l’ensemble des aspects de la vulnérabilité et de la précarité qui affectent la capacité des personnes à accéder de façon équitable et sécuritaire à notre système routier et à l’environnement bâti.
Pourquoi est-ce important de réfléchir aux questions d’équité pour approcher les questions de sécurité routière?
Les données indiquent que les personnes qui se déplacent à pied, à vélo ou avec d’autres véhicules à roues non motorisés, comme les enfants et les adultes âgés, sont les groupes les plus représentés dans les statistiques sur les blessures. Si la vie humaine est importante à nos yeux, l’équité peut nous permettre d’aborder les besoins en matière de sécurité des personnes à qui notre système routier actuel ne bénéficie pas.
Quel rôle les données ont-elles joué dans la prise en compte des questions d’équité sur nos routes?
Un grand volume de recherche et de données quantitatives a été recueilli à l’occasion d’études épidémiologiques conçues pour définir quelles modifications du réseau routier et des infrastructures sont les plus indispensables. Les statistiques relatives aux collisions et aux blessures, notamment, peuvent orienter la prise de décisions et influencer la définition de la nature des modifications et des lieux où elles seront mises en œuvre. Malheureusement, ces données ne révèlent pas les quasi-collisions ni les risques potentiels, qui doivent faire l’objet de mesures et d’examens plus précis.
Je travaille dans le domaine de la recherche qualitative. Actuellement, les données qualitatives disponibles dans les domaines de la prévention des blessures et de la sécurité routière sont limitées. Pourtant, il est de plus en plus important de soutenir et de renforcer les études quantitatives à l’aide de données qualitatives. Nous devons nous adresser à des personnes et discuter avec elles de leurs vécus et des récits qui les concernent en lien avec ces questions. Par exemple, des études récentes ont porté sur les obstacles et les facteurs propices à la modification des infrastructures en vue d’améliorer la sécurité des UVR.1 Ces données ont été recueillies par des professionnels de la prévention des blessures et de la sécurité routière dans le cadre d’entrevues et de groupes de consultation. Ces recherches mettent l’accent sur l’idée que la sécurité routière n’est pas seulement une affaire de chiffres : il s’agit de personnes dont les vies sont perdues ou affectées.
L’importance de l’aspect humain est de plus en plus centrale, en particulier dans le contexte des changements de politiques à l’échelon local. De plus, les données qualitatives recueillies par des professionnels de la sécurité routière et de la prévention des blessures sont précieuses, car elles présentent un cadre de réflexion et de discussion quant à leurs rôles et aux difficultés qu’ils rencontrent quand ils parlent en faveur de modifications des infrastructures à l’intention des UVR. Une meilleure perspective des difficultés structurelles et institutionnelles que l’on rencontre dans la mise en œuvre de ces modifications peut contribuer à abattre et à atténuer certains de ces obstacles, par exemple la priorité accordée aux véhicules, le manque de financement et le manque de volonté politique.1
Quelles sont certaines des réussites les plus notables obtenues en travaillant sous l’angle de l’équité pour améliorer les transports actifs et la sécurité routière?
En Colombie-Britannique, le travail du programme de microsubventions Vision Zéro (B.C.’s Vision Zero in Road Safety for Vulnerable Road Users Grant Program [Programme de subventions Vision Zéro pour la sécurité routière en faveur des usagers de la route vulnérables de la C.-B.]) a permis de faire grandement avancer la cause des UVR, en particulier dans les communautés rurales, isolées, autochtones et de petite taille de la province. Ce programme travaille sous l’angle de l’équité pour juger les dossiers et accorder des fonds dans le cadre du programme de subventions VZ, qui accorde généralement un financement aux municipalités dont les capacités sont limitées et à celles qui n’ont pu obtenir de financement nulle part ailleurs. L’objectif du programme est de renforcer les capacités. Il travaille activement à combler ces lacunes pour appuyer des projets qui n’auraient pas pu être réalisés autrement plutôt que de simplement compenser les municipalités pour les coûts engagés pour réaliser des projets qui auraient été mis en œuvre de toute façon. L’une des principales réussites de ce programme concerne le soutien au renforcement des capacités de ces communautés en leur permettant de prendre part au processus de rédaction des demandes de subventions et au travail de planification nécessaire pour obtenir des fonds pour des projets visant des lieux précis. Autrement dit, les administrateurs du programme de subventions VZ s’efforcent de venir en aide aux candidats en les assistant dans la rédaction des demandes de subventions et en leur offrant des solutions flexibles pour déposer ces demandes. De nombreuses demandes nécessitent des capacités importantes et un bon réseau. Leur conception est particulièrement coloniale, ce qui constitue un obstacle pour de nombreuses communautés dans le besoin. La complexité des demandes de subventions peut s’avérer dissuasive. Le programme de subventions VZ est conçu pour le renforcement des capacités des communautés rurales, isolées, autochtones et de petite taille.
Je collabore actuellement avec une équipe de recherche pancanadienne, et nous avons un manuscrit universitaire en cours d’examen qui étudie la façon dont l’environnement bâti dessert certains groupes mieux que d’autres. Nous travaillons en collaboration avec des intervenants du domaine de la prévention des blessures, des groupes de transport, des professionnels de la santé publique, des décideurs politiques, des personnes travaillant dans des organismes sans but lucratif et des services de police partout au Canada pour connaître leur point de vue sur l’intégration du sujet de l’équité dans leur travail, le cas échéant.
Quels sont certains des obstacles les plus notables rencontrés dans le cadre du travail sous l’angle de l’équité pour améliorer les transports actifs et la sécurité routière?
L’un des principaux obstacles à la réalisation des travaux en faveur de l’équité concerne leur nature compartimentalisée. Des personnes formidables issues d’organismes et de secteurs variés réalisent toutes sortes de travaux avec le même objectif, mais en isolement. Aucun réseau n’existe pour assurer la jonction entre ces professionnels, d’un organisme ou d’un secteur à un autre. Toutefois, certaines personnes reconnaissent l’importance de l’élimination de ces cloisons.1
Le principal obstacle est la priorité accordée aux véhicules,1 un symptôme de problèmes sociétaux et systémiques plus larges. Il est difficile de renforcer l’équité en matière de sécurité routière dans le contexte du système routier actuel, qui vise avant tout à permettre le déplacement de véhicules. Les décideurs politiques ne veulent pas limiter l’espace dédié aux voitures. Pourtant, en limitant cet espace, on amène les voitures à circuler plus lentement et à laisser de la place à d’autres moyens de transport.
Une autre difficulté concerne le manque de données localisées.1 C’est une chose que de disposer d’ensembles de données massifs à l’échelle nationale, c’en est une autre que de convaincre des décideurs locaux, notamment des décideurs politiques, d’apporter des changements. Dans le contexte du travail au sein de communautés, il est important d’adopter une approche descendante appuyée par une stratégie ascendante, qui doit comprendre des données localisées, pour aborder ces questions.
Que pouvons-nous faire pour garantir que nos stratégies visant à améliorer la sécurité routière et à soutenir les transports actifs sont plus équitables?
On peut commencer par lutter contre le cloisonnement : cela permettra d’entendre d’autres points de vue sur la façon dont les questions d’équité affectent ou influencent la sécurité routière au sein de différentes communautés et municipalités et de voir comment elles sont prises en compte dans différents secteurs. Par exemple, dans l’ensemble des données que j’ai analysées, les participants de Montréal ont parlé des différents besoins des UVR et de la façon dont ces besoins sont parfois en conflit. Dans le cas de personnes handicapées, une personne en fauteuil roulant souhaitera se déplacer sur un sol lisse, alors qu’une personne ayant une déficience visuelle aura besoin d’éléments tactiles pour s’orienter en toute sécurité dans le même environnement. Il est important d’être conscient de ces besoins, surtout maintenant, alors que nous disposons de tellement de possibilités et de méthodes pour nous déplacer. Le renforcement de l’équité sur les routes pour tous ses usagers simultanément présentait des difficultés, en particulier à Montréal. On peut par exemple agir en ce sens en s’éloignant de la construction d’espaces dominés par la voiture et en créant des environnements propices à satisfaire les besoins de tous les usagers de la route et de l’ensemble des méthodes de transport (p. ex., marche, vélo, trottinette). Une possibilité serait par exemple la création d’un réseau de sentiers strictement séparés, pour les piétons d’une part et pour les personnes qui se déplacent en véhicule à roue non motorisé d’autre part. Bien que des mesures de ce type puissent renforcer la sécurité des environnements pour les UVR, de telles modifications détourneront une partie de l’espace dédié aux voitures, ce que les preneurs de décisions rechignent à faire.
Quel conseil donneriez-vous à d’autres intervenants plaidant en faveur de la sécurité routière et des transports actifs?
Autant que possible, il est souhaitable de communiquer avec d’autres organismes et réseaux qui travaillent sur des questions similaires. Je réalise que la communication, l’établissement de relations et la participation à des webinaires sont coûteux en capacités et en temps. Je sais qu’en sa qualité d’organisme caritatif national pour la prévention des blessures, Parachute est bien placé pour offrir des possibilités d’abattre ces cloisons et d’établir des relations entre les organismes.
Je conseille par ailleurs d’apprendre auprès d’autant de personnes que possible qui travaillent au sein de leurs communautés : elles font preuve de créativité pour optimiser l’utilisation des fonds à leur disposition pour mettre en œuvre des changements aux effets immédiats. On trouve d’excellents exemples de projets de petite envergure efficaces et peu coûteux en lien avec les infrastructures dans le programme de subventions VZ de la Colombie-Britannique. Il peut par exemple s’agir de l’installation d’un passage pour piétons sur une route très fréquentée à proximité d’une école. Une diffusion plus large de ce travail constitue une excellente première étape dans la création d’un réseau routier équitable.
Références
1 McCullogh, E., Giles, A., Macpherson, A., Buchan, C., Pike, I., Torres, J., . . . Richmond, S. A. (2022). Applying the Consolidated Framework for Implementation Research (CFIR) to examine barriers and facilitators to built environment change in five Canadian municipalities: lessons from road safety and injury prevention professionals. (Application du CFIR [Cadre consolidé pour la recherche sur la mise en œuvre] à l’examen des obstacles et des facteurs propices à la modification de l’environnement bâti dans cinq municipalités canadiennes : leçons offertes par des professionnels de la sécurité routière et de la prévention des blessures). Journal of Transport & Health (Journal des transports et de la santé) (en anglais seulement), 27, 1-14. https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2214140522001505