Une pile de chaussures impressionnante
Dernière mise à jour le 15 septembre 2020
Par Elizabeth Payne
À la fin de février 2020, alors qu’une partie du monde était déjà frappée par la pandémie de COVID-9 et que l’Occident était sur le point de se placer en quarantaine, je suis allée à Stockholm pour m’imprégner d’un autre type d’épidémie : le fléau de blessures et de décès causés par des accidents de la route.
La troisième conférence ministérielle internationale sur la sécurité routière, qui s’est tenue à Stockholm, semble maintenant être l’un des dernières expériences de normalité que nous ayons vécues avant que la pandémie ne commence à tout bouleverser.
À ce moment-là, il n’y avait aucun cas de COVID-19 en Suède et la pandémie semblait bien loin des préoccupations liées à la sécurité routière et des efforts visant à améliorer les sombres données statistiques.
J’ai participé à cette conférence à titre de titulaire d’une bourse de perfectionnement en sécurité routière obtenue dans le cadre d’un programme parrainé par l’International Center for Journalists et l’Organisation mondiale de la santé. Je faisais partie d’un groupe de journalistes boursiers provenant de toutes les régions du monde, y compris celles où les blessures et les décès causés par des accidents de la route atteignent des proportions pandémiques.
Comme beaucoup de mes collègues journalistes, j’avais déjà assisté à une conférence de l’Organisation mondiale de la santé sur la sécurité routière. Ce fut celle en Thaïlande dans mon cas. J’avais été frappée par le nombre d’accidents de la route mortels qui s’élève à 1,35 million par année, ce qui représente 3 700 victimes par jour, et aussi par le fait que la plupart de ces accidents sont évitables.
Mais ce qui m’avait le plus frappé, c’était la difficulté des responsables à attirer l’attention publique sur ce problème, sur une bonne partie de la planète. Or, le métier de journaliste consiste justement à faire connaître l’étendue d’un problème et à examiner les solutions qui fonctionnent à l’échelle internationale.
De toute évidence, la palme revient à la Suède. Ce pays a donné naissance Vision Zéro, qui a été adopté et étendu partout dans le monde. En Suède, depuis des décennies, la sécurité routière est une priorité nationale. Les résultats sont impressionnants. Le taux de mortalité routière est l’un des plus faible au monde. Les autres pays ayant imité la Suède en adoptant des politiques visant la réduction de la vitesse de circulation et la construction d’infrastructures sûres, enregistrent aussi un faible taux de mortalité routière. La Suède n’a pas encore atteint l’objectif de sa Vision Zéro. Mais en 2019, à Oslo, en Norvège, aucun décès causé par un accident de la route n’a été recensé chez les piétons et les cyclistes.
Le Canada, qui a été l’un des premiers pays à élaborer une stratégie de sécurité routière, a stagné ces dernières années au chapitre de la réduction de la mortalité routière. Selon des données récentes, près de 1 900 personnes perdent la vie chaque année au Canda dans des accidents de la route. Selon certains porte-parole, le Canada, autrefois chef de file, a perdu de vue la réduction des risques liés à la circulation; certains responsables estiment tout simplement qu’un certain nombre de décès causés par des accidents de la route sont inévitables. Mais la plupart sont au contraire évitables.
À la conférence de Stockholm, les journalistes ont assisté à des séances consacrées aux nouvelles technologies destinées à améliorer la sécurité routière. Ils ont appris qu’il était important que la sécurité routière devienne une priorité à l’échelle internationale. Le Dr Etienne Krug, directeur du service d’étude des déterminants sociaux de la santé à l’Organisation mondiale de la santé, a déclaré que la clé du changement dans le monde était la volonté politique.
« On a inventé la première cause de décès chez nos enfants et nos jeunes gens. Pourquoi accepte-t-on depuis si longtemps un système de transport qui tue autant de gens ? », a-t-il demandé. Je connais les plaidoyers. C’est ce que le Dr Krug et d’autres chercheurs au Canada et ailleurs dans le monde formulent depuis des années.
Cette année, à la conférence de Stockholm, on a eu droit à quelque chose de différent.
Au lieu de nous présenter une simple liste de sombres données statistiques et faits sur l’épidémie de blessures et de décès causés par des accidents de la route, on a utilisé un puissant moyen visuel pour représenter le poids des accidents mortels de la route.
Dans la gare centrale de Stockholm, une pile de 3 700 chaussures, soit une pour chaque personne ayant perdu la vie dans la circulation ce jour-là, a servi de moyen percutant pour montrer l’effet de l’inaction en matière de sécurité routière. La pile de souliers de course, de sandales, de chaussures de ville, de bottes est restée dans la gare pendant toute la durée de la conférence, en signe de rappel des vies perdues et de celles changées à jamais.
Bright Oywaya fait partie des milliers de personnes dont la vie a été changée par un accident.
Aujourd’hui représentante de l’Association for Safe International Road Travel of Kenya, Bright Oywaya se déplace en fauteuil roulant.
« Je ne suis pas une donnée statistique, mais la victime d’un accident de la route qui a bouleversé ma vie et dont je continue de subir les conséquences », a-t-elle déclaré avant d’ajouter une paire de chaussures de course rose bonbon sur la pile.
Le message était puissant. À la fin de la conférence, tous les pays du monde, y compris le Canada, se sont engagés à continuer à déployer des efforts pour améliorer la sécurité routière.
Mais ce message a perdu de sa vigueur avec l’arrivée de l’épidémie de COVID-19.
Pendant les premiers mois de la pandémie, la diminution de la circulation routière s’est traduite par une réduction du nombre d’accidents de la route. Mais on a tout de même souvent signalé des excès de vitesse sur des routes moins fréquentées.
La circulation reviendra à la normale après la pandémie. Mais n’oublions pas les victimes comme Bright Oywaya et cette bouleversante pile de chaussures.
Elizabeth Payne est journaliste au Ottawa Citizen. Elle a assisté à la conférence à titre de boursière du programme sur la sécurité de l’International Centre for Journalism.